jeudi 24 juillet 2025

Contours - Ann-Élisabeth Pilote

 


    J'aime lorsqu'un roman privilégie l'évocation à la narration. Il ne propose pas qu'une simple histoire mais une expérience qui s'étend au-delà de la diégèse : une immersion sensorielle peut-être, de l'ordre de l'atmosphérique, mais aussi, une réflexion existentielle. Contours invite à se décentrer de l'intrigue pour explorer des questions plus profondes; une invitation à interroger son rapport au monde, au vide et à l'art de créer du néant. 

    Ann-Élisabeth Pilote propose une allégorie de l'ère du vide en faisant de son univers, un monde sans étoiles, où le ciel lui-même est dépouillé de ses guides lumineux. Après des années d'errance, Éli s'installe dans la maison héritée de sa grand-mère. Un soir, la voûte céleste s'éteint, plongeant l'héroïne dans l'angoisse d'un monde sans repère. Face à la disparition des astres, elle cherche son chemin dans le noir; et trouve un semblant de réponse chez sa voisine, Margot, une vieille amie de sa grand-mère. Cette artiste-peintre, mystérieuse et farouchement indépendante, devient alors la source lumineuse à laquelle s'accrochera Eli pour élucider le néant du monde. 

    J'ai aimé ce roman non sans que subsiste, malgré mon appréciation positive, l'impression de ne pas l'avoir tout à fait saisi. Car je ne peux me soustraire à l'idée que quelque chose m'a échappé - le message implicite derrière les mots, peut-être, ou une conscience, une sensibilité, tapie dans le texte et sur lesquelles j'aurais pu, à mon tour, refaire le monde. Cette lecture me laisse un goût d'inachevé, une rencontre un peu ratée. Elle me fait penser à ces moments fugaces où un individu rencontré s'échappe de notre vie aussi vite qu'il y est entré, laissant derrière lui cette impression de rendez-vous manqué. Celui d'un ami qui aurait pu être, mais qui ne le sera jamais. 

    

lundi 21 juillet 2025

Fragments d'Olivier - Marianne Brisebois

 




    Il y a des romans qui se lisent d'un trait, sans hésitation ni résistance, portés par cette plume accessible qui impose son rythme dès la première phrase. Avec Fragments d'Olivier, Marianne Brisebois entraîne rapidement son lecteur au cœur de son histoire, le saisit par la force de la narration et le maintient ainsi jusqu'à la fin. Sans surprise, donc, je me suis laissée embarquer par ce récit, parfois happée, parfois un peu rompue par quelques longueurs, mais toujours charmée.

Ce qui me marque le plus ne réside pas tant dans le style, mais bien dans l'approche narrative. L'autrice traite, sans tabou, d'une histoire d'amour singulière qui défie les normes relationnelles : le modèle de l'amour romantique y est passé au tamis pour ne retenir que les grains âpres de ses complexités. Le récit distille les conventions, les règles explicites de fidélité, de loyauté et d'honnêteté pour extraire un élixir brut fait d'obsession, de dépendance et de passion irraisonnée.

Fragments d'Olivier raconte une histoire d'amour entre Olivier et Camille qui se connaissent et s'aiment depuis l'enfance, mais dont la dépendance aux drogues fragmente la relation. Les tribulations de leur amour s'articulent dans l'absence d'Olivier, ses cures de désintoxication, ses accès de mal-être qui le forcent à fuir dans la drogue ou dans un autre pays, jusqu'à ce qu'il ressurgisse, parfois au gré des hasards, dans la vie de Camille. Et elle, pourtant attachée à la stabilité de sa vie, un travail qu'elle aime et un conjoint merveilleux, retombe inévitablement dans les bras de cet amant éternel, reprenant le fil d'une histoire qui ne veut pas s'arrêter.

C'est une histoire d'amour fragmentée dont les protagonistes reprennent le cours aprés chacunes de leurs retrouvailles. Elle a un parfum de scandale que l'on peut craindre de normaliser, un goût amer pour ceux qui en sont victimes; un amour impitoyable et égoïste certes, mais profondément sincère.

jeudi 17 juillet 2025

Vi - Kim Thúy

 



    De l'œuvre de Kim Thúy, je ne connaissais rien, si ce n'est peut-être Ru dont la couverture, marquée d'un dragon rose, à longtemps occupé les rayons des librairies. Je l'ai toujours aperçu sans oser m'y attarder, portée par la méfiance des succès trop encensés: combien de fois ai-je été influencée par la vague populaire sans y retrouver le même engouement ? Mais la vie m'a prouvé à multiples reprises que la méfiance me donne parfois tort, et de certaines œuvres volontairement écartées, peut surgir une agréable surprise.


J'ai retrouvé chez l'autrice, le style dépouillé que j'affectionne, non pas seulement dans la sobriété de la langue, mais dans l'absence de sentimentalisme. Du sujet du roman, pourtant tragique, découle une forme de distanciation régie par l'objectivité du texte : telle Fanie Demeule, Kim Thúy ne s'embarrasse ni de lyrisme, ni de superflu. Au contraire, c'est bien le constat brut, honnête, qui dévoile la force et la charge des émotions dissimulées. J'y vois, moi, un indéniable talent.

    Kim Thúy est connue pour livrer des récits intimistes à cheval sur son Vietnam natal et son pays d'adoption; avec Vi - et si je me réfère aux nombreux commentaires sur internet - elle renouvelle cette incursion au cœur de l'identité biculturelle. De sa plume presque clinique, elle retrace le parcours de Vi, une jeune fille forcée à l'exil après l'invasion du communisme au Vietnam. Installée au Québec avec sa famille, elle témoigne de la difficulté à préserver les traditions de sa naissance dans une culture occidentale qui l'incite à s'en libérer. Et alors qu'elle semble s'éloigner de son héritage, presque répudiée pour l'avoir fui, c'est pourtant elle qui renoue avec son histoire en devenant traductrice. 

    Mais au-delà du thème du choc des cultures - ou celui de l'exil et de l'histoire du Vietnam -, il émerge du récit quelque chose de l'ordre de la répétition qui transcende les peuples et leurs racines. L'histoire familiale s'inscrit dans un ordre cyclique, où fille et mère, malgré tout ce qui les sépare, reproduisent les mêmes nodosités de l'amour.
    

mardi 15 juillet 2025

Roux clair naturel - Fanie Demeule

 




    De ma pérégrination obsessive - frôlant presque le fanatisme - au cœur de l'œuvre de Fanie Demeule, s'impose naturellement la lecture de Roux Clair Naturel. Cette autrice possède un talent qui saisit et fascine, par la faculté qu'elle a de dire beaucoup et simplement. De sa plume dépouillée jaillit la force des images et le choc des mots, non sans l'agrémenter d'une touche sombre et poétique; Fanie Demeule cible et frappe avec justesse ce qui se trame derrière les sous-entendus et les non-dits. 

( Madame Demeule, si un jour, vous passez par ici, ce dont je doute fortement, je suis pied par-dessus tête avec votre travail.

    Mais ce qui me plaît chez Fanie Demeule c'est son habilité à montrer les failles de ses personnages sans tomber dans le pathos. Roux Clair Naturel est l'histoire d'une obsession pour une couleur de cheveux, le roux, et qui, forte de cette fêlure narcissique et identitaire, fait basculer son héroïne dans la spirale du mensonge. Lorsque cette dernière rencontre l'homme qu'elle aime, elle ne peut se résoudre à lui avouer que la couleur de ses cheveux n'est pas naturelle; et, de la conviction de n'être aimé de lui que par sa crinière fauve, glisse dans une vie régentée par les secrets. 

    Ainsi résumée, l'histoire pourrait s'embarrasser de superficialité et d'affectation - après tout, il est question de cheveux - mais l'autrice s'émancipe de cet examen futile. Au contraire, elle parvient à dépouiller le sujet de sa couche superficielle : l'écriture directe et sans fioriture, dévoile les rouages de l'obsession, du mensonge et de la chute qu'ils provoquent. Fanie Demeule fait l'impasse sur une trop grande immersion émotionnelle : l'intériorité de son personnage se devine dans l'incisivité du style, et dans l'atmosphère sombre, à la limite du malsain, qui habite le récit. 

En bref, j'ai adoré ce roman. 

( Et oui, je suis une groupie.)

dimanche 13 juillet 2025

Poussières d'anges - Valérie Bidégaré

 




    De ma difficulté à prendre position - se traduisant le plus souvent par des avis mal déterminés - se manifeste parfois une polarisation nette de mes opinions. Alors que, pour certains romans, ma pensée peine à se former, d'autres suscitent une analyse claire de mes contradictions. 
    Poussières d'anges fait partie de ces romans qui me divisent, entre émoi duquel perle les larmes et mouvements de contrariété.

    Cependant - et avant de m'avancer plus loin dans mon argumentation - je crois qu'il serait juste d'être transparente sur les biais personnels qui affectent parfois mes lectures. Le roman de Valérie Bidégaré traite du sujet difficile du deuil périnatal et donc, par association, de la maternité et du désir viscéral d'avoir des enfants. Nullipare assumée, je n'ai jamais, de mon expérience de femme, ressentie la nécessité de vivre cette espèce de sacerdoce de la nature : rien ne me prédestinait donc à saisir pleinement ce roman. 

    Mais, à travers l'histoire de Maude et de Mathieu se révèle la brutalité de la perte d'un nourisson. L'autrice ne prend pas de gants et sonde, extrait et dévoile la complexité et la douleur des émotions éprouvées. Du point de vue de la mère comme celui du père se trace le parcours d'une vie bouleversée : le roman laisse à ses deux protagonistes le temps de s'épancher et de déverser ces mille sensations, sentiments et idées qui les traversent. 
    Cette introspection au cœur de la douleur m'a, à plusieurs reprises, fait verser quelques larmes; me laissant penser qu'il y avait là, une transcription juste et authentique de l'expérience. Mais, l'approfondissement se teinte rapidement de redondance; la répétition de la narration se parant d'une certaine complaisance à l'égard de ses victimes. Si cet excès reste, sans doute, au plus prêt du parcours long et cyclique du deuil, d'un point de vue narratif, il lasse et contrarie. L'emphase sur le manque d'humanité et de professionnalisme des docteurs et du personnel soignant, s'il peut être effectivement ainsi vécu par les parents endeuillés, tournent au matraquage et laissent deviner, entre les lignes, une mise en accusation publique. 

    L'écriture, quant à elle, si elle réussit à toucher lors de certains passages, se pare parfois de factualité, ce qui apporte au récit une certaine tonalité didactique. L'autrice, par souci de justesse - et peut-être par déformation professionnelle de journaliste - ajoute des éclairages additionnels, dégageant le lecteur du travail intuitif d'inférence. 

    Mais si mon analyse peut sembler sévère, je dois reconnaître - et c'est ici la démonstration exemplaire de mes avis partagés - que Poussières d'anges m'a sensibilisée à un aspect de la vie si éloignée du mien qu'il m'échappe et même s'ignore, me reconnectant, avec humilité, aux tragédies de ce monde. 
    

mercredi 9 juillet 2025

Bibitte à sucre - Èlyse A.Héroux

 




    Parfois, je me surprends à ne rien penser d'un livre. Dès la dernière page tournée, l'instant de réflexion se limite au sentiment de l'avoir aimé. Ou pas. Je suis animée par la confusion d'avoir à trouver des arguments pour le justifier sans y parvenir; ne subsiste rien d'autre qu'une impression intuitive, sobre et parfois, ridiculement manichéenne. 

    Parfois, j'attribue cette absence de réflexion à mes limitations intellectuelles ou à mon inhabilité à prendre position. Parfois, je me dis que certains romans font simplement vivre de bons ou de mauvais moments, échappant ainsi, entre les lignes, à l'exercice de l'analyse. 

    Bibitte à sucre fait parti de ses romans qui se soustrait à l'examen littéraire et à cette inspiration folle et impérative que j'éprouve à écrire sur eux. Mon constat se borne à un bon moment et à une lecture agréable, sans plus.  La faute en revient, je crois, à la stylistique hautement familière. Elyse A.Héroux écrit avec la verve du langage parlé et du registre courant, s'affranchissant volontairement du style soutenu. Elle propose ainsi une expérience de l'ordre de l'ordinaire - non pas dans son acception du banal ou du quelconque - mais dans celle du commun et du quotidien . Bibitte à sucre, c'est une bonne copine qui raconte son histoire autour d'un café. 

    La bonne copine, c'est Julie Romain, qui, en pleine quarantaine, décide de changer de vie. Le roman se structure autour des six semaines précédant son départ : six chapitres qui témoignent de  l'impact de celui-ci, des changements d'habitude, des liens familiaux et amicaux qui se renouent ou se dénouent. Progressivement, l'histoire de Julie s'étoffe, puis se révèle, authentique, sans les filtres des apparences. Sa décision de partir s'éclaircit alors à la lumière de son passé, des gens rencontrés, puis s'ancre et prend tout son sens. 

    Et alors que je m'efforce de trouver quoi écrire, luttant contre mon absence de pensées, me vient le devoir de coucher l'unique sentiment éprouvé : intuitivement, subsiste quelque chose de l'ordre de la légèreté. Car ce roman n'est pas un récit qui se contente de survoler les drames, mais plutôt de les désamorcer. Malgré les étapes difficiles relatées par l'héroïne, Bibitte à sucre maintient, imperturbablement, son ton comique et désinvolte, décelant, grâce au style et à sa tonalité, toute la gaieté et l'humour dans le tragique. 
    

    




samedi 5 juillet 2025

Tout ce qui reste - Suzanne Aubry

 





     La fin d'une lecture me procure parfois un vague sentiment de vacuité. Non pas que j'attribue cette inertie à l'absence de consistance du roman mais plutôt à la suspension de pensées qui en découle. Certaines lectures ont le pouvoir de court-circuiter les idées, les calculs et les raisonnements pour ne laisser place qu'à une aspiration muette, presque méditative. Imprégnée de cet état de songe, dès la dernière page tournée, je me laisse porter par cette quiétude psychique, jusqu'à ce que, lentement, une pensée claire émerge. 


    Tout ce qui reste est un roman porteur d'une gravité magique. Entre le monde fictif de la " Ville Blanche", sur laquelle un hiver éternel fait peser son manteau de neige, et la mémoire suspecte de la narratrice, s'introduit une atmosphère surréaliste. De la toute jeune Bettina s'échappe un point de vue créateur et enfantin que sous-tend la présence des drames : soudainement abandonnée par son père, l'enfant part à sa recherche et entreprend un périple que seul l'imaginaire peut épauler. Au surréalisme s'ajoute une saveur dystopique : la "Ville Blanche" est une ville d'ordonnance qui interdit les livres, enseigne la Conformité et célèbre le Maire. Ces codes, transposés sous une forme stylistique simple, proche du roman jeunesse, participent à la tonalité à la fois aérienne et tragique de l'œuvre. 


    Cette dualité, cependant, repose sur la "falsification créatrice ", une expression du neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui fait référence à la capacité de modifier ou de réinterpréter les souvenirs traumatiques afin de s'en protéger. Car, se tisse dans la narration homodiégétique, des bribes de détails quotidiens et des souvenirs d'enfance, telles des fulgurations du réel dans l'illusion du fantasme. Et si Tout ce qui reste raconte d'abord la quête d'un père disparu, le récit devient en réalité celui d'une recherche de la vérité et d'une reconquête de la mémoire. 


    Alors que mon sentiment de vacuité s'estompe enfin, je réalise que le roman de Suzanne Aubry m'a transportée dans un monde suspendu au-dessus du réel. À la lumière de la falsification créatrice, l'histoire de Bettina agit en écho sur les courbes difficiles de mon existence; plus que jamais je comprends la nécessité d'y échapper. 





mardi 1 juillet 2025

Ma vie, mon ex et autres calamités - Marie Vareille

 




    Parcours de vie et cheminement de lectrice s'entrecroisent parfois dans la nécessité que le second apaise le premier. La romance à la saveur d'une légèreté souhaitée, presque revendiquée, lorsque l'existence se charge d'un poids trop lourd à porter. L'intention du genre n'est pas de révolutionner la littérature mais bien d'entretenir à l'excès ses tropes et ses schémas : je ne lis jamais une romance avec l'espoir de nourrir mon cerveau d'un quelconque enrichissement intellectuel mais bien avec l'intention de le réduire à un état de mort cérébral. Si je ne peux satisfaire ce dernier qu'avec des romances, au risque d'en faire une overdose ou d'éprouver une perte neuronale significative, la lecture ponctuelle d'une chick lit ou d'une romance contemporaine apporte néanmoins une forme d'entracte dans les contingences de mon existence. 

    Ma vie, mon ex et autres calamités a été choisi dans cet objectif. Si l'on peut contester ses clichés et ses stéréotypes au point que la narration en devient d'une prévisibilité un peu ennuyeuse, le roman s'inscrit pleinement dans ce que l'on attend de lui. J'y ai retrouvé la légerèté, la structure narrative et le happy end de la romance optimiste et divertissante. Sans surprise ni trop grande émotion, Ma vie, mon ex et autres calamités a répondu à mes attentes. 

    L'héroïne Juliette est un succédané de Bridget Jones. Bien qu'elle se retrouve - à la différence de son homologue éponyme - célibataire et sans emploi du jour au lendemain, elle présente la même frivolité maladroite et le même air égaré des petites paumées de la vie. Malgré ses aspirations à vouloir projeter une certaine image d'elle-même, alimentée par les diktats de la femme séductrice ou de la femme forte, son naturel emprunté et anxieux s'impose avec une drolerie attachante.
    
    De la tragédie des ruptures, des injustices et des trahisons surgit un dénouement heureux aux accents miroboliquement irréels : le bien-aimé ténébreux, un peu cavalier, se révèle un irrésistible et charmant millionnaire et une vieille passion se transforme en une nouvelle carrière professionnelle florissante. En bon roman manichéen, qui présente une vision simplifiée en termes de bien - la pauvre Juliette, injustement virée et larguée sans explication  - et de mal - l'ex et l'amie traîtresse -, les méchants sont punis à hauteur de leur crime et leur victime, par conséquent, hautement dédommagée. 

    Mais dans cette existence parfois complexe et trop nuancée, une vision simplifiée et magnifiée des rapports du monde à le mérite d'offrir un instant de répit et un peu de sérénité idéalisée. Ma vie, mon ex et autres calamités a la saveur de cette brièveté, et si je ne me leurre pas de son mirage, au moins ai-je, pendant quelques heures, oublié la réalité.