La fin d'une lecture me procure parfois un vague sentiment de vacuité. Non pas que j'attribue cette inertie à l'absence de consistance du roman mais plutôt à la suspension de pensées qui en découle. Certaines lectures ont le pouvoir de court-circuiter les idées, les calculs et les raisonnements pour ne laisser place qu'à une aspiration muette, presque méditative. Imprégnée de cet état de songe, dès la dernière page tournée, je me laisse porter par cette quiétude psychique, jusqu'à ce que, lentement, une pensée claire émerge.
Tout ce qui reste est un roman porteur d'une gravité magique. Entre le monde fictif de la " Ville Blanche", sur laquelle un hiver éternel fait peser son manteau de neige, et la mémoire suspecte de la narratrice, s'introduit une atmosphère surréaliste. De la toute jeune Bettina s'échappe un point de vue créateur et enfantin que sous-tend la présence des drames : soudainement abandonnée par son père, l'enfant part à sa recherche et entreprend un périple que seul l'imaginaire peut épauler. Au surréalisme s'ajoute une saveur dystopique : la "Ville Blanche" est une ville d'ordonnance qui interdit les livres, enseigne la Conformité et célèbre le Maire. Ces codes, transposés sous une forme stylistique simple, proche du roman jeunesse, participent à la tonalité à la fois aérienne et tragique de l'œuvre.
Cette dualité, cependant, repose sur la "falsification créatrice ", une expression du neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui fait référence à la capacité de modifier ou de réinterpréter les souvenirs traumatiques afin de s'en protéger. Car, se tisse dans la narration homodiégétique, des bribes de détails quotidiens et des souvenirs d'enfance, telles des fulgurations du réel dans l'illusion du fantasme. Et si Tout ce qui reste raconte d'abord la quête d'un père disparu, le récit devient en réalité celui d'une recherche de la vérité et d'une reconquête de la mémoire.
Alors que mon sentiment de vacuité s'estompe enfin, je réalise que le roman de Suzanne Aubry m'a transportée dans un monde suspendu au-dessus du réel. À la lumière de la falsification créatrice, l'histoire de Bettina agit en écho sur les courbes difficiles de mon existence; plus que jamais je comprends la nécessité d'y échapper.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire