Car oui, ce format insolite change le rythme et les habitudes, et propose quelque chose de neuf sur le terrain de la lecture. Le hic, c'est qu'il expose l'œuvre à une double exigence critique; et là où mon indulgence de lectrice profite au roman, mon expérience d'illustratrice, elle, porte un regard plus sévère.
Mais, parlons d'abord du texte de Simon Boulerice. Martine à la plage, dès le départ, m'a fait penser à la série d'albums des Martine, bien connue des enfants, et qui met en scène les aventures d'une jeune fille parfaite et plutôt lisse. En contraste, l'ouvrage de Simon Boulerice, raconte l'histoire d'une adolescente livrée à elle-même et qui tombe folle amoureuse de son voisin Gilbert, un optomètriste albinos. Loin de son homonyme belge, cette Martine-là bascule dans l'obsession, voit des fantômes dans l'angle de ses lunettes; et sans se départir de sa folie, à la fois naïve et fantasque, se révèle plutôt cruelle et choquante. Il est donc question d'une description de l'adolescence dans sa pleine férocité, crue, parfois pathétique; non sans s'exprimer dans une plume qui mêle austérité et excentricité. J'ai retrouvé, chez Simon Boulerice, cette sobriété de la langue que j'affectionne tant, ni trop clinique, ni trop sentimentaliste, tout en étant agrémenté d'une tonalité réaliste, surfant entre le rire et le drame.
Si j'ai été séduite par ce court roman, les illustrations, en revanche, n'ont pas su autant me charmer. Luc Paradis a un style "faussement maladroit" - en rupture, sans doute, avec l'imagerie parfaite des Martine - et propose un crayonné qui semble calqué : la ligne paraît reproduire les contours d'images déjà existantes. La maladresse revendiquée, quant à elle, se trouve moins dans les erreurs d'anatomie - en particulier sur les visages- que dans la naïveté du trait : il y a dans le style de Luc Paradis quelque chose du réalisme et de l'enfantin; un mélange antinomique qui heurte parfois l'oeil.
Au-delà du constat que les illustrations apportent une expérience visuelle franchement intéressante et qui n'est pas pour me déplaire, elles peinent, je crois, à rendre justice au roman de Simon Boulerice. Certaines d'entre elles - et ici je pense à une reproduction fidèle du plan du réseau de la STM (métro de Montréal) - ne reflètent pas toute la complexité et la profondeur psychologique de l'œuvre. Se joue dans Martine à la plage les nombreuses intrications de l'adolescence, et si en surface le style de Luc Paradis évoque bien cette transition complexe entre l'enfance et le monde adulte, il ne montre pas tout à fait la cruauté, l'obsession et parfois, la violence, qui la caractérise.
Martine à la plage est un roman sur l'adolescence destiné aux adultes. Les illustrations, elles, m'ont en réalité donné la vague impression, obsédante comme une épine dans le pied, d'avoir affaire à un roman destiné aux enfants.
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