jeudi 2 octobre 2025

L'ombre de la baleine - Camilla Grebe

 



    Il fut un temps, lointain me semble-t-il,  ma passion littéraire ne jurait que par les polars, les thrillers et les romans noirs. Le contenu de ma bibliothèque témoignant de cette période frénétique, les romans de Lehane, Ellroy, Ellory et Westlake remplissent mes étagères, avec, en tête de proue, Le poète de John Connolly. À cette époque, j'avais la fascination du Mal qui, si loin de ma réalité, se confondait dans la nécessité de trouver un éclaircissement à sa nature - si ce n'est de comprendre les motifs de son existence - ; et j'avalais donc ces romans comme on avale les séries True Crimes. 

    J'aimais surtout l'introspection psychologique qui sous-tendait l'enquête; l'explication du Mal se parait des troubles de l'âme, des passés traumatiques et des folies soudaines dont je me nourrissais, avec, je l'avoue, une certaine jubilation. Car, il n'y avait rien de plus grisant, en réalité, que l'énigme de la psychée, une enquête plus profonde que la recherche d'un coupable. 

    Mais à force de lecture, ces romans se mirent bientôt à tous se ressembler; et mon itinéraire de lectrice se caractérisant par des vagues finissant par se tarir, j'avais cessé de m'y intéresser. Jusqu'à ce que mon club de lecture me suggère L'ombre de la baleine de Camilla Grebe. 

     Ce roman joue sur plusieurs points de vue en donnant voix à trois narrateurs : celle du policier Manfred, dont la fille est hospitalisée, celle de Pernilla, mère célibataire soumise à sa congrégation, et celle de son fils Samuel. Cet adolescent rebelle, au parcours troublé, trouve refuge sur une île isolée, embauché par Rachel afin de veiller sur son fils Jonas, plongé dans le coma. Et alors qu'il tente d'échapper aux trafiquants qui le traquent, sa mère Pernilla part à sa recherche, tandis que le tandem de flics, composé de Manfred et de Malin, repêche des cadavres de jeunes hommes sur les côtes de l'archipel de Stockholm. 

     Ce polar nordique n'échappe pas aux codes de son genre. Si l'angoisse oppressante des grands espaces, du froid et des nuits polaires, la tonalité austère et sombre propre à son exotisme, sont moins manifestes que celles dépeintes chez d'autres de ses pairs, la critique sociale est, au contraire, bien présente. La prise de conscience sur les phénomènes sociaux - trait particulier aux polars nordiques - se manifeste avec une certaine lucidité critique : Camilla Grebe, par le truchement de ses héros, questionne les dérives d'Internet et des réseaux sociaux. Un chapitre est consacré à une théorie sur le narcissisme, quelque peu interessante puisqu'elle montre combien le système de likes change notre vision du monde; quand d'autres se limitent à des allusions critiques : voyeurisme, fraude, dictature de l'apparence, fake news. 

    Je n'ai certes pas retrouvé l'enthousiasme de mes premiers émois littéraires du genre. La psychologie, analysée par le prisme des médias et des réseaux sociaux, est intéressante mais manque, selon moi, de la profondeur trouble et sombre de l'âme. Le Mal, ici, est aussi illusoire que la superficialité des selfies et des likes; et si l'autrice l'agrémente de motifs religieux, il ne s'inscrit pas dans la polarisation du Mal pur : il est la victime d'un monde futile et frivole. 

    Un Mal de surface et non d'abîme. 




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