Il y a tant de choses soumises à la critique. Tant de sujets, de réflexions, de sentiments passés au crible que, parfois, du moins pour moi, ils résistent à trouver leur légitimité sous la plume. Je me demande quelle place aura tel point de vue, et s'il la trouve, le romanesque qui le divulgue n'aura-t-il pas cette tonalité du sentimentalisme, cet excès d'affectuosité qui nuirait à sa justesse ? Ce sont des questions qui me troublent lorsque j'écris; et puis, telle une planche de salut, des romans comme Daddy Issues procurent l'assurance que, oui, tout à sa place. Tout peut-être raconté.
Daddy Issues est le récit d'un cliché, celui d'une femme, maîtresse d'un homme marié. Le stéréotype ne s'arrête pas là : elle est jeune, il est plus vieux qu'elle et il n'a ni l'intention de quitter sa femme ni l'envie d'afficher cette relation adultère. Tout ce qui joue entre eux repose sur l'attente et la sexualité; confinés dans une chambre, ils ne partagent rien d'autres que ces instants fugaces et désespérés. Ça et la littérature.
Elizabeth Lemay donne voix à la maîtresse, à cette autre qui se situe dans l'ombre et qui n'a de légitimité que dans le plaisir qu'elle donne; le roi, ainsi nommé par l'autrice, ne lui accorde que la jouissance qu'il en tire. Mais ce qui diffère, dans ce récit, est l'assentiment de la maîtresse à son destin, actrice consentante de cette relation asymétrique où, amoureuse, elle se donne sans exigence. Elle se soumet à cet amour unilatéral, pénible, et le capture dans toutes ses complexités et ses paradoxes, entre illusions romantiques et éclairs de lucidité. Car cette femme se révèle bien plus nuancée que le rôle de la pute ou de la fille sans père dans lequel la place le stéréotype; à travers ses lectures, Annie Ernaux, Hubert Aquin, Marguerite Duras, elle prend forme, s'epaissit, et atteste de son humanité. De son droit à exister dans cet amour agonisant et sans espoir.
Au centre de ce témoignage tragique, la plume d'Elizabeth Lemay revitalise le récit par cette poétique dépouillée que j'aime tant. Pas d'effusion ni trop de sentimentalisme, et pourtant assez riche pour plonger au cœur des contorsions de l'âme, le style m'a porté et happé vers cet esthétisme de la narration qui rend l'inconcevable, l'incompréhensible et le tabou, acceptable. Et presque beau.
Et c'est là, aussi, que se situe mon amour de la littérature. Dans cette épreuve du récit qui touche et qui ose. Dans cette exploration intérieure qui n'est ni accusatrice ni insolente, juste qui s'éprouve sur le terrain de l'écriture et découvre sa légitimité à exister.
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