mardi 24 juin 2025

Soleil d'abandon - Mathieu Rolland







    Je découvre Mathieu Rolland par la fin; car, de son œuvre, je commence par son dernier roman - Soleil d'abandon - et entre deux séances de lecture, alors que les dernières pages ne sont pas encore tournées, l'envie d'en parler s'amorce déjà. Il y a donc, entre le roman et moi, un commencement de la fin; là où les prémices d'une réflexion s'articule sur l'épilogue à venir, s'annonce une nouvelle étape littéraire.

    Car, il me semble que ma vie de lectrice prend un tournant inattendu. N'ayant jamais développé d'intérêt particulier pour la littérature contemporaine du XXIe siècle, la trouvant parfois inutilement abstruse pour en apprécier son esthétisme, je me surprend à apprécier sa nature équivoque. De ses questions sans réponse découlant d'une narration volontairement obscure, parfois double, de ses personnages abattus par le poids de leur histoire, se dégage l'effrayante incertitude de la vie. Le genre se situe au plus prêt de ce qui nous échappe, de ce que l'on ne comprend pas et de ce qui ne se saura jamais - laissant au lecteur le sentiment contradictoire d'être au cœur d'un mystère parfaitement intelligible. 

    C'est ce que j'ai éprouvé avec Soleil d'abandon. D'abord présenté sous la forme d'une intrigue policière - le paratexte en contient tous les ingrédients : un mystère (une lueur rouge au milieu des arbres), un crime (un enfant retrouvé calciné) et un inspecteur en fin de carrière - le roman s'émancipe du genre afin de s'emparer des personnages. L'énigme est, en réalité, un prétexte pour montrer l'impact sismique qu'elle déclenche sur l'histoire personnelle de chacun des protagonistes. Car, la mort de l'enfant est un tremplin vers le voile secret de leur propre enfance : Emmanuelle, artiste hyperréaliste, fige l'enfant sur ses toiles comme sa mère l'a figé sur ses polaroïds; les frères Jacob et François partent en quête d'une mère disparue dans les poussières d'astéroïdes, pour l'un, et le désert de l'Atamaca, pour l'autre; Julie, au coeur d'une angoisse existentielle, renoue avec l'instabilité d'une enfance marquée par la succession des familles d'accueil. De ses destins qui s'articulent entre eux, émergent la gravité des désirs divergents, des hostilités muettes et des solitudes silencieuses. Si l'énigme ne trouve pas son éclaircissement, elle met en lumière les failles et les fragilités de ses témoins ; car c'est ici que se révèle toute l'incertitude éprouvée - privée de réponses, la mort de l'enfant donne pourtant voix aux nons-dits, aux doutes et aux tourments. 

    Et pourtant, subsiste au cœur du roman, l'impression que rien n'est véritablement expliqué. Mathieu Rolland donne à ses personnages la substance des êtres dont les actions sont parfois incohérentes et mystérieuses, et offre au lecteur une absence volontaire d'exégèse sur leurs motivations profondes. C'est l'ambiguïté de cette absence qui témoigne du vrai mystère du roman : l'étonnante complexité humaine au cœur d'un monde sans réponse.  

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