J'ai toujours abordé la littérature en gardant à l'esprit une volonté d'ouverture; pour moi, lire est un plaisir profondément personnel dont la variété d'œuvres, de genre et de style sont l'illustration des goûts, des appétences et des tendances préférentielles des lecteurs. Cette ouverture, qui, certes, a nourri une curiosité inassouvie pour n'importe quel ouvrage contenant des pages à tourner, m'a néamnoins rendue permissive et impartiale : j'éprouve rarement des positions critiques fortes, incapable d'adopter une posture d'intransigeance sur les représentations littéraires ou la stylistique. Même dans ce qui ne m'éblouit guère, quelque chose au coeur d'un roman me retient d'un jugement trop sévère.
L'iris de Boisjoli possède ce quelque chose d'opaque à ma conscience : le roman s'inscrit dans le genre populaire, ou la simplification du registre de langue, du style et de la narration peine à satisfaire mes goûts pour l'écriture soutenue et recherchée; mais qui, étrangement, suscite un tel attrait qu'il pousse à poursuivre sa lecture. Alors que l'œuvre me laisse un arrière-goût mitigé, je me surprends à vouloir suivre ses personnages et à désirer connaître son dénouement.
L'iris versicolore, l'emblème floral du Québec, se dresse au début du roman comme un préambule aux tragédies qui marqueront l'enfance de Violaine. Symbole de résistance et de vitalité malgré la boue et la déforestation qui l'entoure, elle sonne pourtant le glas d'une époque : les étés de l'héroïne dans le chalet familial à Boisjoli seront affectés par une série de drames, dont l'intensité croissante annonce l'irréversibilité de l'entropie du monde. La suite du roman le confirme; la mort ne cesse de s'infiltrer dans ce cadre idyllique d'une nature florissante, d'un superbe lac entouré d'arbres; témoins des liens et des déchirements d'une famille qui s'y retrouve pour chasser, pêcher, et boire autour d'un feu. Mais, au fil de ma lecture, ces accumulations prennent rapidement la forme d'une éxagération, comme si l'autrice dressait la liste des pires drames de l'existence : la mort accidentelle, le suicide, les abus sexuels, la maladie, les accidents de la route et l'addiction semblent être des prétextes aux rebondissements narratifs pluôt qu'une volonté d'enrichir le récit de leur portée tragique. Car, Violaine semble les survoler comme si rien ne la touchait tout à fait. L'insouciance de sa jeunesse, sa naïveté romantique ou sa sensibilité qui l'isole et la rend étrangère à sa propre famille, peuvent justifier cette position de détachement; mais ces récits, une fois adulte, ne rendent pas compte du poids ni de l' impact de ces drames. De son regard mature, posé sur son passé, ne subsiste que le regret d'une promesse rompue par le décès d'un amour de jeunesse; mais que reste-t-il des baisers forcés, des poitrines brutalisées et du cadavre d'un homme noyé sur les rives d'un lac ?
Violaine, telle l'iris versicolore, ne cède pas aux aléas de son destin; elle persiste à grandir, à s'épanouir et à gagner en éclat; fleur solitaire au coeur de la déliquescence. Le roman me résiste alors sur l'intentionnalité de l'autrice; entre hommage à la résilience et portrait d'une futilité ou d'une froideur de caractère, se substitue le sentiment du manque de profondeur et de complexité qui marque les récits à la simplicité conventionnelle.
Or, porté par cet attrait inexpliqué que suscite certains romans, L'iris de Boisjoli est parvenu à maintenir mon intérêt et à nourrir ma curiosité. Il y a dans la simplification narrative, une invitation au relâchement. Et alors que je cède à sa facilité, se forme la conviction que Nathalie Babin-Gagnon a toutefois réussi la seule et principale intention d'un roman : divertir son lecteur.

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