vendredi 20 juin 2025

Nuits et jours avant la fin - Marielle Giguère

 




 

    J'aime me laisser porter par des romans choisi au hasard, me laisser surprendre, être conquise par une plume ou une histoire; et, dans l'infini océan de possibilités littéraires, dénicher un nouvel auteur chouchou dont je lirais aussitôt l'oeuvre avec l'enthousiasme d'une groupie. C'est le cas de Nuits et jours avant la fin de Marielle Giguère. Ce roman fait parti de ces découvertes auxquelles je ne m'attendais pas et qui se révèle, en contraste, bien plus que ce que j'en attendais.


    Ce que j'aime d'abord, c'est la technique narrative, à la fois cinématographique et incroyablement esthétique, puisque chacun des septs chapitres se lit comme un long plan séquence : le récit d'un personnage passe la main au récit d'un autre par le truchement d'une rencontre, d'un rideau de pluie ou d'un téléphone sonnant dans le vide.


    Ce que j'aime, ensuite, c'est l'histoire d'une dérive, de la descente en enfer d'un homme ordinaire, Martin, dont l'accumulation d'événements, de non-dits, de soucis professionnels, de peines et de frustrations, précipite vers une colère de plus en plus incontrôlable.


    Dès l'incipit, l'autrice annonce la fin : Martin assassinera sa femme et sa fille.


    Alors que les chapitres titrent, en ordre décroissant, les jours menant jusqu'à cet évènement tragique , leurs récits témoignent, eux, de la folie croissante du héros - comme un itinéraire antonymique au décompte des jours.


    Car, le coeur du roman n'est rien d'autre que la juste et cruelle fragilité humaine - Marielle Giguère saisie, sans sentimentalisme, la puissance du mal-être, les étourdissements de l'âme, l'aliénation de l'esprit qui sommeille sous les couches des silences, de l'évitement et du déni. Ses personnages sont pris dans des carcans dont ils ne cherchent pas à sortir, se refusant à les nommer; et quand Martin posera son geste fatal, ce dernier sera l'extériorisation tragique de tout ce qui a été réprimé : l'infidélité, le sentiment d'infériorité, les carences affectives, les griefs et les regrets.

 

    En parallèle à cette histoire, d'autres destins se croisent au coeur d'une résidence pour personnes âgées : Stanley le gardien, peinant à investir dans l'immobilier, la peintre Constance, ayant perdu plusieurs enfants en bas-âge, Bénédicte, encore alerte et lucide malgré ces cents années; et entre les jours chapitrés, les nuits de Huguette, la mère de Martin, plongée dans les rêves sybillins de son dernier sommeil.

    Si ces histoires s'infiltrent dans la trame principale pour en faire baisser la tension, elles ne sont pas - pour ma part - suffisamment captivantes pour m'y attacher : ardemment désireuse de retrouver Martin, sa femme Véronique et sa fille Emma, elles me sont alors apparu superflues. Car, il n'y a rien qui justifie tout à fait leur présence, à moins peut-être d'introduire les faits divers qui accompagnent le récit. Ce parallèle aux évènements tragiques qui ont marqué le Québec, n'a d'autre effet que de révèler ceux qui se trament au coeur de l'intimité - alors que le monde se tourne vers les joueurs de Hockey Canada accusés de viol collectif, vers le frère Bruno Barbiero mortellement happé par un camion-benne ou vers le séisme en Haïti, il occulte le tragique des gens ordinaires ; un homme se perdant dans des pulsions mortifères, une femme trompant son mari, une fille souffrant de santé mentale.


    J'ai adoré cette lecture - profondément saisie par cette histoire humaine, qui, à travers la santé mentale d'Emma, la dérive de Martin, la mort solitaire de Huguette, est venue me toucher au plus prêt de mes propres effritements.



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