Déterrer les os s'inscrit dans ma boulimie Fanie Demeule. Si le paratexte ne laisse rien deviner du contenu du roman, l'objet-livre, lui, m'intrigue : les tranches de pamplemousse sur la couverture me font l'effet de muscles déchirés, mis à nu par la peau d'écorce, exposant, sans pudeur, un cœur réduit en lambeaux. Alors que la lecture me plonge dans le monde de l'anorexie, dans un huit-clos entre la narratrice et sa haine du corps, l'analogie des tranches de pamplemousse prend tout son sens - elle m'évoque le déchirement intérieur de l'être et l'expression du rapport mortifère avec sa croûte de chair. La pulpe exposée est la représentation décomplexée d'une écorchée.
Mais plus que tout, le récit me prend aux tripes, car l'obsession d'un corps que l'on souhaite voir disparaître ne m'a jamais parue aussi bien écrite. Sans sentimentalisme, sans affectation ni complaisance, il est incisif et mordant, soutenu par une plume minimaliste et un texte fragmenté. L'art des phrases courtes est une forme simple qui touche au plus juste et qui cible l'essentiel. Alors que le roman est le récit d'un égarement, de sentiments confus et de peurs irrationnelles, l'épuration du style et les paragraphes courts les synthétisent et les fortifient. Car, il y a une puissance dans cette narration homodiégétique qui bascule entre fulgurations de lucidité et épisodes de déréalisation : la narratrice raconte avec rectitude son anorexie tandis que la réalité se trouble devant elle. Elle s'isole, se raconte des histoires, s'abîme dans des actes irréfléchis, parfois incompréhensibles.
Mais Fanie Demeule n'est pas qu'une écriture. Ce qu'elle dévoile, dans ses romans, est l'art d'aller explorer les lieux sombres et d'en piocher les murs pour en extraire davantage de noirceur - telle sa narratrice qui s'enfonce dans une grotte dont elle ne peut sortir, l'autrice définit les contours troubles de l'âme, et les révèle avec une fracassante poésie.
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